Depuis mon reportage sur la Vallée de la Millière en 2022, j’ai tenté à plusieurs reprises de faire une belle photo de cette espèce d’oiseau et j’ai essuyé de nombreux échecs. Cette année (2023), suite à 5 affûts infructueux, à me lever tôt et à essayer de comprendre leurs habitudes particulières, j’ai presque fini par abandonner ! Je n’arrivais pas à avoir de belles photos, car cet oiseau si léger se percher sur les graminées les plus fragiles, donc dans un champ c’est un peu de partout ! De plus, il ne se cantonne pas forcément à un territoire, j’observais les familles se déplacer, d’un jour à l’autre sur l’ensemble de la réserve, donc je ne comprenais pas où placer la tente d’affût !

 

J’avais même demandé à Vincent Munier, lors du dîner que j’ai pu partager avec lui chez Yann Arthus-Bertrand, comment s’y prendre, en lui expliquant que ces individus n’avaient pas vraiment d’habitudes routinières. Il m’avait conseillé de trouver le nid et de me poster non-loin.

 

Suite à ses conseils, j’ai essayé de comprendre où pouvait être le nid. J’ai placé la tente affût où je le supposais (j’avais observé une famille de 5/6 Tarier à cet endroit-là, et émis le fait que la nidification était terminée), du moins par leur constance sur cette zone-ci et par la présence de gros rumex servant de perchoirs plus solides. J’ai fait attention de placer la tente en fonction de la composition de la photo et de la lumière de l’aube !

 

Bref, la nuit du 8 au 9 juin, nous menions des inventaires sur les papillons de nuit et nous avons fini vers 3 h 00 du matin. J’ai donc décidé de faire une nuit blanche pour me rendre dans la tente affût vers 4h15. L’ambiance était merveilleuse, la lumière perçait lentement le ciel et illuminait de manière très diffuse la couche épaisse de brume qui se maintenait sur la zone-humide de la réserve. A tel point qu’il m’a été compliqué de retrouver la tente affût, notamment à cause des herbes hautes proches de 1m80.

 

Je suis dans la tente, la fatigue se fait ressentir lourdement et je m’émerveille devant cette ambiance si particulière. Je suis dans la tente, la fatigue se fait lourdement ressentir et je m’émerveille devant cette ambiance si particulière. Le chant des oiseaux à l’aube commence à me bercer, et malgré mes efforts pour résister à la fatigue, je finis par piquer du nez. Voilà que je m’endors une bonne heure ! Vers 6h00, je me réveille. L’ambiance est différente, extraordinaire ! Le soleil se lève face à moi, mêlé à la brume épaisse ! Il caresse les graminées d’ors et illumine la rosée matinale. C’est féérique, magique, on ne voit presque rien, tout est doré et ça scintille de toute part. Il ne manque juste mon sujet, que j’entends crier derrière moi ! Il émet de petits cris typiques, ressemblant à des silex qu’on entrechoque. C’est le moment ! Combien de temps me reste-il pour garder cette ambiance et ces lumières ? Les planètes étaient presque alignées, il ne m’en manquait plus qu’une : Monsieur Tarier, sur le rumex que j’avais visé dans mon objectif, en me disant que la composition et les lumières seraient idéales ici !

 

Je n’ai pas eu à attendre longtemps, le mâle, de son plumage magnifique, contrastant de noir et de orange, se mêlé parfaitement aux couleurs de ce moment fatidique. Il vint se percher plusieurs fois, devant moi et un peu autour.

 

Le cœur s’emballe, le temps s’arrête, on ne réfléchit plus et toute son attention est focalisée sur le moment présent. L’erreur technique est interdite, bien que la tremblote prenne le dessus. On est pris dans un autre univers, et la joie quand on regarde l’écran de son appareil photo nous bouleverse ! Avec la fatigue, il m’a fallu un petit temps pour bien réaliser ce qui venait d’arriver. Enfin j’y arrivais, après tout ce temps, et au-delà de mes espérances.

 

Il est 7h50, je décide de quitter l’affût et d’aller me coucher car à 12h00 je devais reprendre le travail. Une fois loin de l’affût, j’hurle, modestement, je libère cette joie coincée en moi qui ne demande qu’à sortir après la frustration de devoir rester silencieux dans cette tente pour éviter de déranger la faune. Je suis heureux, je rentre en marchant, en dansant ! Encore aujourd’hui, cet instant de bonheur m’a marqué, et je remercie la chance que j’ai eue pour tous les paramètres qu’il fallait réunir pour obtenir un résultat pareil.

 

Cet oiseau n’est pas si « rare », il l’est un peu plus dans les Yvelines. Sur la réserve de 28 hectares, c’est 3 couples que j’ai recensé lors de mes inventaires. Mais à cette période, ils étaient très peu cantonnés à un territoire, et à chaque fois, ils n’étaient plus là où je posais la tente en amont.  Mais je tenais vraiment à le photographier, pour sa beauté et l’intérêt que Emma, ma maître de stage, lui porte et pouvoir lui offrir un tirage pour son anniversaire. J’ai décidé de vous partager celle-ci de photo, ce n’est peut-être pas la plus belle de la série, mais ça donne une idée de l’ambiance, et le choix est compliqué et subjectif.

 

J’espère que cette courte histoire vous permettra de mieux appréhender la joie qu’on peut éprouver dans la photo animalière et que ça ne se limite pas à juste « de la photo ». Parfois, c’est profond.